LE COMPLEXE DE ROBINSON

LA MONTAGNE – 18 mars 2019
LE COMPLEXE DE ROBINSON ENTRE CLAIR ET OBSCUR

Le Complexe de Robinson, pièce présentée jeudi et vendredi dernier par la Cie Euphoric Mouvance, au Geyser, est le fruit de deux années de travail, autour du texte de l’auteur contemporain belge Stanislas Cotton, mis en scène par Bruno Bonjean.

Cette très belle histoire d’amour est magnifiquement jouée par trois acteurs qui interprètent les personnages de cette pièce. Il y a le flic tourmenté, La sentinelle, qui enquête sur la disparition d’une femme, Clarimont Laventure, comptable hanté par un amour perdu et Irina Guérilla, jeune diplômée, une écorchée vive.

La pièce déroule des pans de leur vie, ponctués de joies, d’émotions, de colères, d’espoirs, de soucis et des préoccupations de ces trois trentenaires d’aujourd’hui.

Le complexe de Robinson respire la réalité et l’actualité parfois cruelle de notre époque, mais cette histoire est aussi source d’enthousiasme et de force de la jeunesse. Le trio est animé d’une envie folle de jouir de l’innocence dans la légèreté et la sincérité pure. La réalité du brouillard social ambiant s’inscrit autant que la poésie de cette histoire d’amour et de passion.

Le public, lors des deux représentations, a été sous le charme, appréciant la justesse de l’interprétation des trois comédiens. Il a salué par une salve d’applaudissements la qualité de cette pièce proposés par la Cie Euphoric Mouvance.

LE PETIT BOUCHER

GAZETTE DU 9e FESTIVAL INTERNATIONAL DE BEJAIA – 20 octobre 2018
LE PETIT BOUCHER, UN SPECTACLE ÉMOUVANT ET SALUTAIRE

Le petit boucher présenté en avant-première hier soir sur les planches du TRB a manifestement séduit et enthousiasmé tant la pièce était émouvante, salutaire, et puissante, d’autant que d’aucuns s’attendaient à la subir en raison de la lourdeur et de la gravité du sujet (un viol). Mais la force du texte, la simplicité de sa scénographie et le talent admirable de son interprète, subtilement fusionnés, en ont adouci la charge sinistre et permis l’éclosion d’un spectacle aussi poétique que rédempteur.
Ecrite par Stanislas Cotton et mise en scène par Agnès Renaud, la pièce évoque les violences faites aux femmes, mettant en lumière l’histoire d’une fille, juste pubère, qui subit sous la perversité d’un boucher, qui la viole et la met en cloque, par une nuit de violence guerrière, dans une forêt ou elle cherchait à se réfugier pour échapper à un assaillant. En se réveillant, à l’hôpital au bout de plusieurs semaines de coma, elle découvre son ventre arrondi et ce qui allait être désormais pour elle une folle descente aux enfers.
Reniée par ses parents, montrée du doigt par les gens de son village, et perdant son fiancée … subitement son univers bascule, rongée par la honte et perdu de ne pas savoir ce qu’elle va faire de sa vie. De plus, la présence de ce enfant non désiré dans ses entrailles la préoccupe au plus haut point et a culpabilise. « Je suis en faute (…) A moi la faute », n’eut-t-elle de cesse de répéter comme pour expier un péché. Etc par désespoir, elle s’adresse directement à lui, en lui promettant qu’il n’en sortira point.

Marion Bottollier, Le petit boucher, tutu
Marion Bottollier
Marion Bottollier, Le petit boucher


« Je ne veux pas que tu sortes ; je ne veux pas te voir » lui dit-elle menaçante, en l’affublant du sobriquet de « Petit boucher », avant de sombrer dans des hallucinations et des propos de fou, convaincue que son fiancé revenait pour la reprendre. Le monologue est intense, truffé de sensations et d’émotions, servies par l’expression corporelle absolument saisissante de Marion Bottollier au summum de son art et qui campait le rôle de « Félicité ». Seule en scène, sur un plateau nu, son récit n’est pas linéaire mais délivré par à-coup, voire hésitant, dans une démarche pédagogique traduisant ses états d’âme, faits de moment de rejets, de colère et finalement d’acceptation de son bébé. Au bout du compte, dans un moment de lucidité retrouvée, elle décide de le garder et de reconstruire sa vie sur les ruines de « l’amour brisé ». C’est rédempteur et c’est résilient. Elle le mérite. La pièce est magnifique, poignante, interrogative et qui dénonce sans concession le viol de l’innocence. A voir et revoir absolument.

EL WATAN – Kamel Medjoub21 octobre 2018
FESTIVAL INTERNATIONAL DE THEATRE DE BEJAIA : HISTOIRE D’UN PETIT BOUCHER INDESIRABLE

L’actualité nationale pourrait nous amener à penser à Cadenas, ou encore à L’hémicycle de la honte, mais la pièce s’appelle Le petit boucher. Et toute ressemblance avec « el bouchi » et l’épisode des 701 kg est involontaire et n’est qu’accidentelle.

Bref. Ecrit par Stanislas Cotton et mis en scène par Agnès Renaud, Le petit boucher est un monodrame admirablement joué par Marion Bottollier, sur fond de souffrance des femmes violées. Félicité est une jeune femme mise enceinte qui veut coûte que coûte se débarrasser de l’enfant qui gonfle son ventre, un «petit boucher» qu’elle est décidée à ne pas «laisser sortir».

La jeune femme vit dans un village aux «collines et pâtures et aux champs de maïs et d’haricots», dans son pays de soleil devenu «moribond». Dans son village, le temps de la récolte que l’on attend devient un temps de désolation où «gisent les corps» et où «la récolte pourrit sur pied». La guerre détruit le village. Un soir dans son «exil en forêt», étouffée par le mal de l’absence du fiancé, surgit l’ombre glissante et rôdeuse du boucher du village, dans ses yeux l’épouvantable ardeur d’un abuseur. Félicité est écrasée sous «le corps lourd» de son violeur.

Dans l’halètement du boucher souffle un ordre : «Tu te tais !», trois syllabes qui résonnent comme «un refrain dans la nuit», mais un refrain de vampire. Le texte de la pièce est une tresse littéraire cousue de métaphores et avec une belle écriture poétique du moi. «Un poème dramatique», résume Marion Bottollier. «L’enfant de la honte» pèse sur Félicité, qui trouve refuge dans un hôpital en compagnie d’autres femmes «perdues». Victime de la folie d’un homme, dont on ne nous dit pas le sort après son forfait, Félicité devient «coupable» de son drame, culpabilisée par les siens qui la considèrent comme «fille de malheur». La pièce ne met pas de nom sur cet espace de l’intolérance, ce qui incrimine toute société, fût-elle sous le ciel de l’Occident. La femme serait-elle l’éternelle victime d’une vision sociétale universelle qui s’affranchit des frontières et des codes culturels ?

Le regard des autres écrase Félicité et l’enfonce dans le doute et les affres du rejet. Elle est au bord du gouffre et le vide l’attire. Devra-t-elle céder à sa condition maintenant que tous ses liens dans la vie sont rompus ? «Reste là si tu y tiens petit boucher», dit-elle finalement. Elle sort, elle flâne et salue les gens. «La parole reprend ses droits». Ce changement de position est brusque pour le public du FITB, qui n’a pas eu droit au passage qui l’introduit. «Un passage complexe», selon Agnès Renaud, qui explique que la contrainte du temps a empêché de le jouer dans cette représentation qui constitue la générale de la pièce. Félicité a fini par décider de vivre pour l’enfant qu’elle porte. «Je veux bien être ta mère», lui dit-elle. Elle se rend compte que «le petit boucher» n’y est pour rien dans cette tragédie. Le mal est ailleurs, les coupables aussi.

LA PROFONDEUR DES FORêTS

LE BRUIT DU OFF – Julia Garlito Y Romo10 mars 2018
LA PROFONDEUR DES FORÊTS : UNE FABLE-REALITE SUR LES ENFANTS ASSASSINS

CRITIQUE. « La Profondeur des Forêts » Texte de Stanislas Cotton – Mise en scène Georges Lini – Atelier 210, Bruxelles – Jusqu’au 10/03/2018 à 20h30.

L’Histoire : Un Renard et un Chat guettent un petit enfant pour s’amuser. Ils en attrapent un…
Cela fait à peine deux semaines que Sirius Malgrétout (Felix Vannorenberghe) pousse des chariots à l’Electro-World, d’où le surnom que lui donne ses collègues: Poucet. Pour eux, il n’est que le nouveau et fait souvent l’objet de railleries. Malgré les démons qui le hantent, resurgissant de son passé sous les traits de son comparse Tommy Tanpis (Arthur Marbaix), Sirius essaie tant bien que mal de trouver sa place dans la société. Après sa sortie de prison, le jeune homme se sent surveillé par son superviseur qu’il appelle « mon oncle » et qui seul, connaît le secret de sa nouvelle identité. Un secret lourd d’enfant assassin qui provoque chez lui la terrible angoisse d’être reconnu par quelqu’un. Il veut s’intégrer à nouveau. Il a peur. Il tombe amoureux de la jolie caissie, Zelda Rose (Wendy Piette). Arrivera t-il à la séduire ? Arrivera t-il à oublier la noirceur d’une adolescence passée derrière les barreaux ? Parviendra t-il à vivre « normalement », alors que Thomas, plus vindicatif, toujours présent dans l’ombre de Sirius, conteste ces moments de « bonheur » ?

Inquiétude, colère, déchirement, incertitude sont autant de sensations et d’expressions que traduit Georges Lini (directeur artistique de la compagnie Belle de Nuit) dans son impressionnante et contemporaine mise en scène, sur un texte de l’auteur dramatique, Stanislas Cotton (prix du conservatoire royal de Bruxelles, entre autres). Un spectacle inspiré de faits réels : « l’affaire James Bulger ». Une affaire criminelle ayant traumatisé les britanniques en 1993 avec l’enlèvement puis le meurtre le 12 février d’un enfant de deux ans et demi, James Bulger. Torturé et battu à mort, l’enfant est retrouvé, deux jours plus tard, près d’une ligne de chemin de fer. Les deux meurtriers sont deux enfants de 11 ans, Jon Venables et Robert Thomson. Ils ont enlevé l’enfant dans un centre commercial, marcheront avec lui durant 3km, le rouant de coups. Ils croiseront 38 témoins et pourtant personne n’interviendra, alors que James, terrifié, saigne au visage. Repérés par des caméras de surveillance, regardant des enfants (d’autres preuves ont fait le reste) ils seront condamnés jusqu’à leur majorité: 18 ans. Après huit ans de détention, ils changent d’identité pour pouvoir échapper à la population et aux médias. En 2010, on entend à nouveaux parler d’eux, après l’arrestation de Jon Venables, pour possession de vidéos pornographiques à caractère pédophile. Plusieurs romans ont été inspirés par cette histoire, dont un film « Boy A ». Par ailleurs, les médias de l’époque on soupçonné le film « Chucky 3 » d’avoir inspiré le meurtre sauvage de James.

Marqué par cette histoire restée dans sa mémoire, Georges Lini, décide de commander un texte à l’auteur dramaturge qu’il connaît déjà bien, Stanislas Cotton. (Lini l’a, en effet, mis en scène avec « La gêne du clown »). L’écriture à dimension sociale sous forme de mi-réalité, mi-fable et « faussement poético-enfantine » de l’auteur belge plaît beaucoup à Lini et lorsque ce dernier soumet l’idée à Cotton, celui-ci, bien que terrifié, accepte le défi. Il tourne ce fait divers dans sa tête durant six mois. Il se laisse habiter par le drame, et l’aborde finalement en utilisant le chat et le renard du conte de Pinocchio. L’idée Lini/Cotton est de mettre en évidence la cruauté des propos et du sous-entendu de la réalité face à cette violence qu’est l’acte meurtrier, mais également de la réaction du peuple dont l’incompréhension face à une telle situation peut également devenir très violente. « Comment contrer la vengeance ? Comment rendre justice en protégeant malgré tout les droits des enfants ? Naît-on criminel ou le devient-on?  La société est-elle responsable des « monstres » qu’elle a crée ? Est-ce la société qui les crée ? Peux-t-on avoir une deuxième chance ? » Autant de questions qu’ils se posent, le tout interprété avec brio par les talentueux et jeunes comédiens Wendy Piette (endossant plusieurs rôles), Felix Vannoorenberghe et Arthur Marbaix. Dans un décor délibérément sobre et blanc, intemporel aussi, pour « mettre au travail l’imagination » ils vont évoluer sur scène avec une dose d’improvisation et un questionnement dirigé directement au public. Des chuchotements, une musique pesante… l’impact sur les spectateurs est évident.

Le spectacle est suivi d’un débat avec Lini, Nargis Benamor (assistante à la mise en scène) et les trois comédiens. On apprécie l’intelligence et la lucidité de leurs réponses et commentaires. Un moment agréable, le public, majoritairement jeune mais pas seulement, est conquis.

« La Profondeur des forêts » : « un théâtre politique qui permet au spectateur de prendre position » comme nous le dit si bien Georges Lini. « Une tragédie moderne en mode version multiple ». Une œuvre qui « bouscule l’intellect et l’émotion » souligne t-il.

Je confirme ! Allez-y. C’est éprouvant, mais ça en vaut largement la peine.

LE SOIR – Catherine Makereel28 février 2018
ENFANTS CRIMINELS ? LA DIFFICILE REHABILITATION

George Lini crée une pièce de Stanislas Cotton basée sur un fait divers effrayant. Deux enfants de dix ans enlèvent, torturent et battent à mort un gamin de deux ans. Ces gamins tueurs peuvent-ils espérer une rédemption ?

Les artistes fonctionnent souvent par cycles. Prenez Picasso et sa période bleue, puis rose, puis cubiste. Toutes proportions gardées, on peut aussi classer les pièces de Georges Lini par phases, depuis les créations du ZUT (théâtre qu’il avait fondé à Molenbeek) – des pièces contemporaines, noires, rugissantes et gorgées de violence sociale – jusqu’à ses œuvres plus récentes, dépoussiérant férocement les classiques, comme Shakespeare ( Un conte d’hiver ) ou Feydeau ( Tailleur pour dames ).

Aujourd’hui, avec La profondeur des forêts de Stanislas Cotton, le metteur en scène belge revient à ses premières inclinations. Sombre plongée au cœur d’un fait divers, la pièce crache une bile acide qui n’est pas sans rappeler les Wajdi Mouawad ou Dennis Kelly dans ses plus jeunes années. D’ailleurs, un pressentiment nous étreint d’emblée : ce décor immaculé, ce carrelage blanc chirurgical, ce lit hôpital au centre et ces trois personnages en sous-vêtements aseptisés, tout cela n’annonce-t-il pas quelques incisions dans des plaies peu reluisantes ?

De fait, ça va saigner ! De fait, sans scalpel mais avec une histoire tranchante, Georges Lini opère dans les boyaux de notre conscience collective. Inspirée d’une histoire vraie, celle du meurtre d’un petit garçon britannique de deux ans (James Bulger), enlevé, torturé et battu à mort en 1993 par deux enfants de 10 ans, la pièce charcute des lésions sordides : comment notre société peut-elle engendrer des enfants criminels ? Ces enfants sont-ils définitivement des monstres ou faut-il croire à leur rédemption ?

DIX ANS APRES

Stanislas Cotton a imaginé l’un de ces enfants devenus grands. Relâché à sa majorité, après dix ans de détention dans un centre spécialisé, le jeune homme a changé d’identité. Engagé comme manutentionnaire, Sirius Malgrétout veut croire qu’une nouvelle vie est possible. Une collègue lui fait même les yeux doux. Cependant, son passé continue de le hanter, sous les traits de Tommy Tantpis. Est-ce son ancien camarade ou la personnification de sa mauvaise conscience ?

L’écriture et la mise en scène jouent sur la confusion. Comme elles le font ailleurs dans la narration, brouillant les repères sur la ligne du temps ou les contours des personnages. On perd donc parfois pied dans cette forêt labyrinthique mais la brillante performance des comédiens nous guide vers d’étonnantes clairières. Wendy Piette, Félix Vannoorenberghe et Arthur Marbaix incarnent avec feu les facettes irréconciliables de cette affaire : la sourde cruauté de l’enfance, l’horreur face à l’inconcevable, la soif de vengeance des uns, le droit à une seconde chance revendiqué par les autres.

Désordonnée mais jetant une lumière crue sur d’autres « monstres » encombrants de notre actualité, la pièce complète l’actualité chargée de Georges Lini, dont on verra cet été une mise en scène de Caligula dans les ruines de Villers-la-Ville.

RTBF – Dominique Mussche – 1 mars 2018
LES MONSTRES ONT-ILS DROIT A LA REDEMPTION

Carrelage blanc, des murs au plafond. Un espace de jeu comme une grande boîte déposée sur le plateau. Un lit métallique. Chambre froide ? Hôpital ? Décor glaçant en tout cas pour nous plonger au cœur d’un des faits divers les plus monstrueux de ces dernières décennies. Rappelez-vous : le 12 février 1993, on découvrait le corps d’un très jeune enfant près d’une voie ferrée dans la région de Liverpool. Enlevé, torturé et battu à mort. Quelques jours plus tard, les meurtriers étaient arrêtés: deux garçons de dix ans… Bouleversé par la violence de ce fait divers et toutes les questions qu’il pose, Georges Lini décide de commander une pièce sur mesure à Stanislas Cotton pour sa compagnie Belle de Nuit.

Tandis que les spectateurs prennent place, Wendy Piette chuchote au micro des paroles à peine audibles, répétées comme une comptine où l’on perçoit notamment « Nous sommes bien malheureux, nous les enfants …  » A ses côtés les deux autres acteurs portent des masques de chat et de renard. D’emblée, nous voici plongés dans l’univers des contes déjà pressenti par le titre de la pièce. N’est-ce pas dans la forêt profonde, en effet, que les parents abandonnent leur enfant, que le Chaperon Rouge rencontre le loup…

Arthur Marbaix
Wendy Piette
Félix Vannoorenberghe

« Je suis Sirius Malgrétout » clame ce jeune manutentionnaire fraîchement engagé à l’Electro World (Félix Vannoorenberghe). Pour ses collègues, il est juste le petit nouveau (on l’appelle Poucet …), mais nous savons qu’il vient de purger huit ans de prison, et qu’il a changé de nom. Mais changer de nom permet-il de changer de vie, de se reconnecter à la société, de se réconcilier avec soi-même, d’être quelqu’un d’autre ? Peut-on définitivement chasser de sa mémoire les traces du crime passé ? Comment surmonter sa peur d’être reconnu ? Voilà quelques-unes des questions posées par ce spectacle. Sirius tente de nouer une relation amoureuse avec sa jeune collègue Zelda, mais ses mauvais rêves le poursuivent. Stanislas Cotton et Georges Lini nous entraînent dans les méandres de ses souvenirs. Certains ont la brutalité du fait divers historique, et nous renvoient aux photos de l’époque, le portrait des deux gamins et la vidéo de la caméra de surveillance. D’autres ont l’intensité noire du cauchemar où le jeune homme revit sans cesse ce qu’il cherche précisément à oublier, cet enfant qu’il poursuit malgré ses cris jusqu’à l’issue dramatique. Aux côtés de l’ancien comparse, Tommy Tantpis (Arthur Marbaix), le mauvais génie dont il a suivi les plans démoniaques sans bien comprendre où ils allaient le mener.

Mais la réflexion ne s’arrête pas là, elle questionne aussi le jeune âge des criminels. Des gamins de dix ans sont-ils capables de faire la différence entre réalité et fiction ? Comment le juge les interroge-t-il? Le texte sonde aussi les causes, il évoque notamment la violence vécue par les deux petits coupables au sein de leur famille, les coups de trique du père. S’agit-il pour autant de circonstances atténuantes ?

Entre récit, enquête et cauchemar éveillé, la pièce pose beaucoup de questions mais se garde bien d’y répondre. N’est-ce pas là, en fin de compte, une des raisons d’être du théâtre ? Georges Lini insuffle une force sauvage à ses trois comédiens. Ceux-ci prennent le texte à bras le corps. Les frontières du plateau volent en éclat et ils nous interpellent en s’appropriant la salle tout entière. La musique impose ses décibels. Peut-être aurait-on souhaité un peu moins de bruit et de fureur et un jeu plus intériorisé. Alors que le débat sur la rédemption et la réinsertion des anciens criminels est à nouveau sous le feu des projecteurs, ce nouveau spectacle arrive à point nommé.

ET DANS LE TROU DE MON CœUR, LE MONDE ENTIER

LE THEATRE COTE CŒURChristine Eouzan – Avignon 2017
RÊVES ET ANGOISSES DE POST-ADOLESCENTS

Ils sont six. Seuls ou en couple ils attendent un train. Les vies se télescopent sur ce quai de gare. Dorothy imagine qu’elle est à la décharge, lieu de promenade de prédilection de ses parents. Elle rêve qu’elle les précipite au fond du trou. Son ami Minou rêve de vengeance à l’encontre de son violeur. Bouli et Marcel se chamaillent gentiment. Le premier rêve d’ouvrir un commerce, le second exècre les études. Douglas est en retard.  Il croise la route de Dulcinée qui n’est pas une fille facile mais qui rêve du grand amour. Là-bas, au-dehors c’est la guerre. Contre des extrémistes religieux. Quel espoir pour ces jeunes personnes en quête de bien-être, de bonheur, d’écoute, de travail, d’une vie normale. Surgit Lila Louise. Elle revient de là-bas. Et dans un sale état.

Le texte est né d’une commande de Brunon Bonjean, metteur en scène de la compagnie Euphoric Mouvance à Stanislas Cotton, auteur belge dont l’écriture a une forte dimension sociale et politique. Ces jeunes qui rêvent d’émancipation, d’amour, de s’installer dans une vie plus confortable, qui attendent un train on les imagine dans notre banlieue, sur le quai de métro, du tram. Des jeunes d’aujourd’hui grandissant dans le doute, avec au loin les échos d’une guerre pour la démocratie qui semble néanmoins bien obscure. On sait qu’elle est là, pas si loin que cela, pour notre bien, mais elle ne nous touche pas vraiment. Enfin jusqu’au moment où…

« Je veux du rêve, des rires et des larmes. Je veux que ça gratte, que ça chatouille. » dit l’auteur. Et c’est ce que projette le texte. Ecrit dans une langue riche, rythmée, le texte est âpre, laisse un goût amer, comme cette époque qui semble si grise. Entre la jeunesse qui se brûle à l’éternel trio sexe-drogue-musique avant de « rentrer dans le rang » il y a celle qui est sacrifiée sur l’autel de la guerre pour la liberté.

Les sept jeunes comédiens s’emparent du texte de Stanilas Cotton pour en faire un objet bouleversant, un théâtre qui interpelle. On ne peut que penser à Abu Ghraib, à l’Afghanistan, à la Syrie, à ces jeunes hommes et femmes qui reviennent traumatisés à vie du front du combat pour notre liberté. Cette jeunesse est-elle plus heureuse pour autant ? Loin de sombrer dans la déprime, malgré le malaise que provoque le spectacle sur ce qu’il nous montre de nous-même et de notre société, c’est un message d’espoir qui l’emporte.

La mise en scène est vive, la scénographie moderne, colorée. On sent tout le travail sur le texte et le travail corporel qu’ont mis en oeuvre ces jeunes comédiens que l’on va suivre de près et que l’on a hâte de retrouver. Ils sont énergiques, présents sur scène sur la totalité du spectacle, figurant la foule de ce quai de gare, un lieu grouillant de monde et où pourtant règne la solitude. Un texte âpre. Sept jeunes comédiens qui portent avec énergie le regard des post-ado sur le monde qui les entoure. Du théâtre qui « gratte », qui dérange, qui interpelle, qui bouleverse et touche en plein coeur.

L’HUMANITE.FR – Gerald Rossi – Festival Avignon Off 2017
LE TOURBILLON DES IDEES JEUNES

Ils sont sept sur le plateau, dégageant une énergie de passions de doutes et de lendemains sur quelques thèmes éternels, comme celui du sens à donner à sa vie. A savourer. Tous les sept partagent plusieurs points communs, outre leur jeunesse électrisée; la quête de la tendresse, de l’écoute, de l’amour, dans un univers qu’ils savent sans issue. Mais le joli texte de Stanislas Cotton force les portes.

Et dans le trou de mon coeur... Chorégraphie

Et demain sera autre. (…) Les comédiens, également danseurs, évoluent dans un décor de feuilles mortes et de passerelles de fer. Dispositif parfait pour ce récit fait de petits riens attachants, parce que forcément une fois partagés, qui trouvent naturellement leur place dans le grand récit du passage de l’adolescence à l’âge dit adulte. Les rêves changent alors de couleurs, les espérances de sens. Et l’on est pris ici dans ce tourbillon

réjouissant et vivifiant. Le tout dans une maitrise de l’espace et du temps remarquables.

MADININ’ART
Critiques culturelles de Martinique – Michèle Bigot – 8 juillet 2017
ET DANS LE TROU DE MON CŒUR, LE MONDE ENTIER

La musique monte en puissance (…) Une logique chorale se met en place. Des corps jeunes, nerveux etsouples. Impatients d’en découdre (…). Surgit alors la parole. Le ton est donné : c’est la balade de trois couples de gamins qui se cherchent, se provoquent, rêvent et tirent à boulet rouge sur une société qui leur réserve la guerre, la précarité, l’ennui et/ou la violence.

(…)Le dialogue déroule ses méandres, ses caprices. Il va en bondissant de fragment en fragment, syncope des paroles, pour une vie hachée, ou encore bribes de monologue halluciné. L’impression que le texte s’écrit en direct devant nous. Et les corps suivent le rythme bondissant. Mouvement perpétuel : les gars comme des chiens qui s’ébrouent, les filles comme des poupées bondissantes. On est la marionnette de sa propre vie. On surjoue sa jeunesse. Mais le manège enfiévré va bloquer brutalement. Une vision comme une déflagration. La guerre siffle la fin de la partie, dans sa réalité la plus brutale. C’est le clou du spectacle. L’horreur est devant eux. Cette fois c’est plus de Burger Palace qu’on parle ! Musique électro dévastatrice, vision infernale. La terre s’ouvre sous leurs pieds. Le texte haletant trouve ici son acmé. C’est un monde sans pitié, c’est le monde d’aujourd’hui pour les jeunes d’aujourd’hui. Pas de quoi pavoiser. Les rêves, les fantasmes, les rires et les larmes viennent se briser sur l’obscénité de la guerre, face à la figure hagarde du vétéran : c’est Lila Louise Guili. Elle a un nom angélique, mais c’est une terre brûlée. Fin de partie ! 

FRANCE BLEU NATIONALE – Eric Bastien novembre 2016
ET DANS LE TROU DE MON COEUR, LE MONDE ENTIER
Un spectacle de la compagnie Euphoric Mouvance mis en scène par Bruno Bonjean

Un texte fort. Une distribution incroyablement juste qui réunit sept jeunes acteurs. Ils nous emportent avec eux dans un jeu physique et puissant. Les corps se conjuguent au verbe dans cette forme réjouissante de théâtre contemporain. Loin d’éloigner le public ce spectacle le rassemble autour de préoccupations universelles et vient percuter l’actualité. Il nous touche en plein cœur, et particulièrement la jeunesse……

La mise en scène intelligente au service de la langue de l’auteur fait rejaillir sur le plateau sa violence, son humour et sa poésie…. Un spectacle à ne manquer sous aucun prétexte.

LA MONTAGNE – Fabienne FaurieVichy – Mai 2016
EUPHORIC MOUVANCE MET EN SCENE LES PRÉOCCUPATIONS DE LA JEUNESSE.

Euphoric Mouvance met en scène les préoccupations de la jeunesse.
Dans cette œuvre mise en scène par Bruno Bonjean, Stanislas Cotton pose les interrogations de la jeunesse avec autant de violence que de poésie, sans oublier les touches d’humour. Le théâtre doit bouleverser sinon il ne sert à rien assure l’auteur. Sept jeunes comédiens lance ses mots qui ricochent dans le cœur des spectateurs, suscitent l’émotion bouleversent. Leur talent est cinglant, rare.

LA MONTAGNE – Grégoire NartzRiom 2015
SEPT COMEDIENS DONNENT CHAIR AU TEXTE DE STANISLAS COTTON
Nouvelle création d’Euphoric Mouvance, un texte contemporain.

À l’heure où, sous le prétexte affiché de serrer les cordons des budgets, il est de bon ton de vouloir réduire la culture à une peau de chagrin, des créateurs ont encore du souffle. Celui de la persévérance et de l’espoir, celui de l’énergie du théâtre et de l’exigence de la création.
Et dans le trou de mon coeur, le monde entier, mis en scène par Bruno Bonjean avec quatre femmes et trois hommes, est une commande d’écriture passée à un auteur dramatique belge, Stanislas Cotton. Présent lors des premières représentations, Stanislas Cotton s’est enthousiasmé de la mise en scène proposée et de la prouesse des acteurs : Voir ce magnifique travail, cela fait vraiment plaisir !
On lui donne raison. L’écriture est tendue, sur le fil de la tragédie et de la comédie. Jamais anecdotique, la parole est musicale, rythmée. La mise en scène donne aux acteurs les codes pour broyer cette matière et construire un jeu subtil et fort. C’est jouissif. C’est une partition. Le spectacle est une caisse de résonance qui livre un écho des bruits du monde. Sa réussite est d’emmener les spectateurs dans un
rêve terrible et profondément humain et touchant, de livrer quelque chose de compréhensible par tous, à différents niveaux, selon ses préoccupations, son éducation. Une expérience forte qui ne laisse personne indifférent. Fort. Très fort.

LA GêNE DU CLOWN

PLAISIR D’OFFRIR… La culture est un cadeau – Muriel Hublet – 19 mars 2014
LA GENE DU CLOWN

Gêne ou gène ?
La confusion est permise.
L’auteur Stanislas Cotton nous emporte dans une tragi-comédie noire de noire.
Tout commence dans la légèreté et le piquant pour finir dans le drame.
Monsieur Bobby Dick (Philippe Jeusette) est un fonctionnaire rigide.
La concierge de son immeuble, Philomène Planchapain (Isabelle Defossé) est (pudiquement dit) en chaleur.
Au dialogue cocasse, la mise en scène de Georges Lini ajoute une gestuelle accentuée amplifiant le subtil assemblage de quiproquos.
Avec le jeu des maquillages (entre clownesque et macabre) il crée une plaisante impression d’être dans un film muet, légèrement saccadé et délicieusement décalé tout au moins au début.
Les fidèles des créations Georges Lini savent que ce tableau burlesque va s’écailler et laisser percevoir le pire voire l’horrible.
Encore une fois, ils auront raison de s’attendre à une plongée dans l’enfer de l’âme humaine, dans le sordide, dans l’inadmissible, dans l’indicible, dans le soigneusement caché, dans le volontairement invisible.
C’est Andromède (Laurie Degand) la jeune nièce de Bobby Dick qui fera exploser le silence, qui libérera les secrets trop longtemps étouffés.

Couverture de l'ouvrage, maquillage de clown
Laurie Degand dans La gêne du clown 2014
Laurie Degand
Philippe Jeusette dans La gêne du clown 2014
Philippe Jeusette
Isabelle Defossé dans La gêne du clown1 2014
Isabelle Defossé

Après le rire, le drame est amené crescendo. Il monte en puissance, dans le glauque et l’odieux, réussissant à nous river, le dos glacé contre le dossier de notre fauteuil. La scénographie de Ronald Beurms faite d’un cercle d’ustensiles de cuisine, les vêtements qui sèchent un peu partout, de volets de guingois et d’escaliers est pleine de coins, de recoins et permet une action sur plusieurs plans, sur différents angles.  Avec les éclairages judicieusement modulés d’Alain Collet, tamisant ou révélant les vérités, les contradictions et surtout la profonde humanité des trois protagonistes.
Toute la subtilité de cette Gêne du clown est de jouer l’ambiguïté, de montrer la souffrance des coupables comme celle des victimes, les côtés malsains comme dans la solitude douloureuse.

Véritable must, cette pièce ne laissera personne indifférent.
Écriture, mise en scène et jeu des comédiens, tout est réuni pour provoquer les rires et étaler l’horreur, pour exposer les failles et la folie humaine dans tout l’abject, le désarmant et l’émouvant qui peuvent exister en chacun de nous.

CLOD ET SON AUGUSTE

LES TROIS COUPS – Entretien avec Stanislas Cotton – Cécile Cres / Frédéric Chaume – février 2015
LE CLOWN MET TOUT A DISTANCE

Il est toujours intimidant et risqué de rencontrer un artiste que l’on admire, dont l’œuvre nous émeut. Sera-t-il à la hauteur de son art ? Aussi généreux que ses textes ? Nous avons eu la chance de recevoir Stanislas Cotton un bel après-midi d’automne, autour d’une bouteille de Croze-Hermitage et de saucisses de Morteau. L’homme s’est révélé aussi beau que sa plume…

Dans l’œuvre de Stanislas Cotton, le thème qui nous a le plus frappés par sa récurrence est la figure du clown. Qu’elle apparaisse dans les titres, qu’elle en soit le personnage principal, ou que les situations burlesques dans lesquelles se retrouvent les personnages y renvoient, nous avons souvent pensé à l’univers du cirque ou de Jacques Tati en lisant Stanislas Cotton.

« Mon monde farfelu a des parentés, mais ce n’est ni voulu ni cherché » nous a-t-il répondu. La Gêne du clown (1), par exemple, est une mention fortuite. Alors qu’il était à une rencontre avec des élèves de l’Est parisien, un adolescent, profitant d’avoir un homme de lettres sous la main, lui demanda : « Mon père me dit tout le temps que j’ai la gêne du clown, vous savez ce que ça veut dire ? ». L’expression lui a plu et elle est devenue le titre d’une œuvre dont l’ouverture comique cache un sujet des plus sombres. En revanche, lorsqu’il se pose la question de la « porte dramatique » pour aborder le viol de guerre (2), Stanislas Cotton opte volontairement pour un clown, car « le clown met tout à distance ». C’est ici que se joue la démarche de l’auteur. En effet, il nous explique : « Le principe de mon travail est de m’éloigner du réel et de composer des personnages qui sont les plus improbables possible, par leur nom, leur façon de parler et la situation dans laquelle ils sont. J’essaye de mettre le lecteur ou le spectateur dans une situation où il se dit : “Ce que je vois là n’a rien à voir avec moi, je ne sais pas ce que c’est que ce truc”. Petit à petit, l’histoire se déroulant […], le spectateur se rend compte qu’en fait, c’est lui qui est sur scène. Que c’est de lui, du monde dans lequel il vit qu’on parle. Il y a fatalement un éloignement du réel. Ça n’a aucun sens d’écrire le réel sans le transformer. Il faut le faire exploser pour mieux en parler. »

Stanislas Cotton par Frédéric Chaume

Mais, pour autant, cela ne signifie pas que l’œuvre tombe dans la fantaisie la plus totale : « Le paradoxe, c’est que mes personnages ne sont pas vraiment réels, puisqu’ils sont bizarres… on ne sait pas trop où ils sont. Ils parlent, ils existent par leur parole, par ce qu’ils font, mais on pourrait les croiser en allant chercher du pain, parce que leur humanité les ramène à notre quotidien ». À ceci, l’auteur ajoute : « J’aime bien qu’on parle de gens normaux. Au théâtre, on parle souvent de personnages qui n’ont plus grand-chose à voir avec la réalité de la plupart des gens, beaucoup de traders… Mais je trouve plus intéressant de montrer les gens qui subissent les dommages collatéraux des désordres du monde, plutôt que les acteurs de ces derniers. C’est une autre manière de fonder la critique. ».

Une distanciation paradoxale indispensable selon Stanislas Cotton, qui écrit pour que « l’on s’en prenne plein la figure, pour qu’on ne soit pas épargné quand on voit la représentation d’un texte. Sans doute qu’aujourd’hui on n’a plus le droit à ça. L’émotion au théâtre, surtout pas ! Alors que moi, je rue dans les brancards dans l’autre sens, ça me semble nécessaire. Il faut mettre de l’humanité dans le théâtre, l’émotion qui va avec, de la sincérité. Des mots qui ne sont plus à la mode. On a besoin de retrouver des choses vraies au travers du média qu’est le théâtre, en tant que machine à rêves, machine à questions, machine à secouer. Interroger des questions de société d’aujourd’hui sous des formes particulières, c’est participer au monde d’aujourd’hui ».

OUVRIR DES PORTES

Dans cette entreprise, l’objet livre tient une place particulière. Plus accessible et facile à faire voyager que les hommes et les mises en scène, les livres permettent aux auteurs de se rencontrer, de se lire, ainsi qu’un accès et une appropriation par tout type de public. Pour Stanislas Cotton, les opérations théâtre-éducation (3) de son éditeur Émile Lansman sont l’un des exemples de la force du texte édité : « Des centaines de livres arrivent dans les mains d’adolescents qui découvrent des textes écrits spécialement pour eux par des auteurs contemporains. Ils les montent dans des ateliers et ont la chance, après, de rencontrer les auteurs venus voir leur travajustifie

il en cours, qui discutent avec eux et cherchent des solutions pour l’améliorer. C’est une très belle ouverture sur le monde pour des collégiens, des lycéens. Ils bénéficient de quelque chose de précieux : la gratuité de la parole, de la pensée, du partage de petites connaissances. ».

Stanislas Cotton se prête avec plaisir à ce type d’exercice : « Ça fait partie du travail d’auteur d’avoir cette proximité avec les plus jeunes à certains moments parce que si l’on peut, il faut ouvrir des petites portes dans les têtes. Se dire ensemble que le monde ne s’arrête pas là, que le monde est vaste. On a le droit de rêver, de penser et de créer. La vie ne s’arrête pas au cours de français, de mathématiques, à l’obligation de rendre ses devoirs. Non. Il y a au-delà tout un espace extraordinairement disponible, et chacun est à même de le conquérir ou de l’investir s’il dispose des outils pour y entrer. ».

Si le livre est le support de cet enrichissement mutuel entre l’auteur et son public, Stanislas Cotton y est encore attaché pour d’autres raisons : « Je suis encore de la vieille école : le livre est un objet que j’aime, j’ai une histoire plongée dans les livres (4) […]. Et tout bêtement, la publication, c’est aussi une reconnaissance. Je me rappelle très bien une époque où je revendiquais être un auteur, mais où je n’étais pas encore publié ni monté. J’étais totalement méprisé par certaines personnes puisque je n’avais aucun crédit. ».

Dans un contexte d’une scène belge francophone verrouillée au jeune théâtre, les débuts de la carrière d’auteur sont difficiles. Les jeunes générations s’organisent dans les années 1990 dans des mouvements de contestation, comme les états généraux du Jeune Théâtre (4), auxquels Stanislas Cotton participe. L’un des plus marquants pour lui fut RépliQ, collectif d’auteurs qui organisait des marathons d’écriture, des lectures, afin de donner une visibilité aux dramaturges francophones. « Ça a été une bonne école, on se retrouvait à quinze, vingt auteurs, on se lisait, on échangeait des commentaires, des critiques, on s’engueulait, on s’aimait… » Mais malgré l’enthousiasme foisonnant de cette scène, ses neuf premières années sont dures : « J’écrivais deux à trois pièces par an sans que jamais personne ne me dise quelque chose sur ce que je produisais – metteurs en scène, éditeurs, comédiens… Je n’ai jamais bénéficié d’un regard véritablement critique de la part de gens extérieurs au cercle des amis ». Un jour pourtant, une metteuse en scène l’appelle en disant : « J’ai vu cette pièce, je la monte » (6). « C’était assez surprenant. Et depuis […], ça n’a plus arrêté, ça a été toujours plus de travail. »

FAIRE DE LA MUSIQUE AVEC DES MOTS

Auteur prolifique, avec une trentaine d’œuvres publiées, et régulièrement montées (7), Stanislas Cotton, ancien comédien, reste néanmoins loin de la mise en scène. Et l’on se pose pourtant la question de la place de l’auteur et de la mise en scène, du devenir du texte de théâtre. Si un texte de théâtre est destiné à être dit, ses textes ont ceci de particulier de ne comporter aucune ponctuation, marqués par des rejets et des majuscules en milieu de ligne. « Je me suis inventé une graphie personnelle, qui est pleine de ponctuation. Pour moi, la ponctuation existe. Les gens me disent toujours : “Il n’y a pas de ponctuation, c’est bizarre”. Il y a une ponctuation. Très, très forte. Même plus imposée encore dans cette forme-là. Je crois que ce que j’essaie de faire avec cette langue, c’est d’entrer dans l’intimité des personnages et donc dans l’universel en touchant cette intimité. »

Car l’idée, c’est de tendre au rythme d’une parole du réel : « J’ai essayé de trouver la représentation qui était la plus proche de ce que je visualisais dans ma tête quand les idées surgissaient, ces phrases que l’on commence et qui ne se terminent pas. Et on en fait tous les jours ! Par ailleurs, le retour à la ligne et l’usage des majuscules sont des signes très clairs que l’on change d’idée et qui créent un rythme. Parfois, au-delà du sens qui se dégage des mots, c’est le rythme qui est le plus important. Si l’on prend Novarina, par exemple, ce n’est pas ce qui est dit qui est important, c’est la somme de tout ce qui est dit. Et le sens premier n’a plus beaucoup d’importance à ce moment-là. […] D’où la dimension poétique ».

Plusieurs comédiens lui ont fait les mêmes remarques sur le souffle porté par les choix typographiques du texte : « Un jour de répétition, un comédien est venu me voir et m’a dit : “Tu sais, c’est assez incroyable, je ne dois rien faire. Je suis le rythme du texte et je deviens dingue !”, et je trouvais que c’était assez sympa. Merci, l’auteur est content ! La musique, la rythmique est fondamentale. J’ai toujours rêvé d’être musicien et je n’y suis jamais arrivé. Je ne sais pas pourquoi. Problème de gestion de rythme, de… je n’y suis jamais arrivé ! Je pense que j’essaie de faire de la musique avec des mots. ».

QUAND J’AI ECRIT UN TEXTE, IL NE M’APPARTIENT PLUS

Pour Stanislas Cotton, la surprise reste un élément fondamental du théâtre, ce qui explique en partie son rapport à la mise en scène. Nous lui avons fait remarquer que ses didascalies sont rares, et bien souvent au conditionnel. Assez caractéristique, cette didascalie du Roi bohème : « L’on pourrait entendre à des moments choisis l’Impromptu D 946 de Schubert. Peut-être le second mouvement à partir de ± 4’50” » (8). Un conditionnel qui laisse une grande liberté, tout en étant fort précis… « Les indications musicales sont tout à fait gratuites. Généralement, quand je rentre dans une écriture, il y a des musiques qui m’accompagnent, qui tournent parfois en boucle, parce que ça correspond à mon état ou à celui des personnages. […] C’est simplement une aide, un petit coup de main. Par exemple, le Roi bohème a été créé sans que la musique ne soit utilisée. C’est à la discrétion de chacun. Et puis, moi, j’aime bien être surpris aussi… Je fais des propositions, mais si on me propose autre chose et que ça me va… »

Le texte mis en scène est une aventure qui ne lui appartient pas : « Je suis l’opposé total de Beckett de ce point de vue. Lui exigeait que soit respecté à la respiration, à la virgule près tout ce qu’il avait indiqué. J’ai pour principe que quand un texte de théâtre est écrit, on le donne. Que ceux qui veulent s’en emparer s’en emparent et qu’ils en fassent du théâtre. Qu’ils essayent. S’ils réussissent, c’est très bien, s’ils se plantent, c’est tant pis. Quand j’ai fini un texte, il ne m’appartient plus, et c’est pour ça que j’écris beaucoup… ».

ÊTRE MIS EN SCENE, C’EST EVITE LES PLEONASMES

En sept ans, Vincent Goethals a monté cinq de ses pièces, et c’est avec plaisir qu’il collabore avec lui : « Il m’a surpris chaque fois. Je pense que tant qu’il me surprendra, je serai plutôt content de travailler avec lui. Et le jour où il ne me surprendra plus, ce sera mauvais signe… ».

Les deux hommes ont travaillé selon deux modalités. La plus fréquente est celle où le metteur en scène choisit un texte déjà écrit. Dans ce cas, l’auteur collabore de fort loin : « La première semaine de répétition, j’assiste au travail. C’est une semaine essentiellement destinée à se mettre d’accord sur le sens. C’est également une période pour favoriser la mise en bouche du texte par les comédiens […]. Puis, je m’en vais. Je n’ai alors pas le droit de voir quoi que ce soit avant la première ».

Dans le cas d’une commande, en revanche, le travail préparatoire est plus long : « Il y a des discussions pour savoir de quoi on va parler, selon quelles formes, des choses aussi simples que le nombre d’acteurs, etc. Là, c’est plus une collaboration. Pour le spectacle de l’été 2013 au Théâtre du Peuple de Bussang (9), le texte a été écrit petit bout par petit bout. Je lui en ai envoyé régulièrement. À un moment donné, il y a eu une matière, des espèces de moments de poésie, des petites histoires, des bulles de théâtre, des chansons, dont il a eu la liberté de construire l’ordre, en une espèce de cabaret […]. Puis, on s’est vu avec le musicien, les comédiens, pendant une dizaine de jours pour apprendre les chansons, se mettre d’accord sur les textes, et je suis parti. Et là encore, je n’ai pu entrer dans la salle qu’en même temps que le public le soir de la première. ».

À la question de savoir s’il a envisagé de se mettre en scène, Stanislas Cotton répond par la négative : « Un auteur qui se met en scène passe à côté de quelque chose, parce qu’il y aura fatalement un pléonasme. Je ne veux pas généraliser : il y a forcément des exceptions. Mais il est plus intéressant qu’un metteur en scène fasse son écriture sur un texte, qu’il y ait un peu de friction entre les deux, pour qu’il y ait des étincelles. Il est extrêmement important que les pratiques se croisent, que les différentes manières de faire du théâtre se croisent, puisqu’on se nourrit de ça. ».

Cette ouverture et cette curiosité au monde, au-delà de sa propre écriture, ont caractérisé les trois heures et demie d’interview que Stanislas Cotton a bien voulu nous accorder. Nous espérons avoir pu ouvrir nous-mêmes « une petite porte » sur son œuvre et que vous aurez autant de plaisir à lire ses pièces que nous en avons eu à l’entendre en parler… 

(1) Stanislas Cotton, la Gêne du clown, Lansman éditeur, Belgique, 2014, 54 p.
(2) Stanislas Cotton, Clod et son Auguste, publié avec Le Roi bohème, Lansman éditeur, Belgique, 2013.
(3) Opérations mises en place au sein de l’association belge Promotion Théâtre (aujourd’hui : ITHAC )
(4) Stanislas Cotton a été libraire, comme sa mère et sa sœur. Son père était critique littéraire.
(5) Mouvement qui regroupait des professionnels du théâtre « pour repenser le théâtre, le réinscrire dans le tissu social, sortir de l’individualité, discuter de leur profession en état de paupérisation grandissante, rassembler leurs énergies, confronter leurs expériences et préparer la rencontre entre jeunes compagnies, membres des pouvoirs publics, institutions théâtrales et de la presse », Prouvost Christelle, « Les états généraux du Jeune Théâtre, la croisade continue », le Soir, 21 septembre 1994.
(6) Stanislas Cotton, Bureau national des allogènes, Lansman éditeur, Belgique, 2002. Créé en 2001 par Christine Delmotte.
(7) Outre les 26 pièces de théâtre, Stanislas Cotton a publié trois romans, une nouvelle et un carnet de voyage. L’intégralité de son œuvre publiée est listée sur son blog, qui recense également les mises en scène.
(8) Stanislas Cotton, le Roi bohème, Lansman éditeur, Belgique, 2013, p. 6.
(9) Stanislas Cotton, Et si nos pas nous portent, Lansman éditeur, Belgique, 2013.

LES TROIS COUPS – Lou Delville – 3 octobre 2014
UN NEZ ROUGE SANG

Au travers de la figure traditionnelle et désuète du clown de cirque, Stanislas Cotton livre un texte fort et incisif. Une confession, qui secoue par la poésie de l’écriture, pour raconter l’horreur.

Clod le clown se prépare avec des exercices de diction pour se donner du courage : « Clod seul en piste s’en sort toujours » (1). Puis il entre en scène avec son escabelle et parle à un public muet, peut-être même absent, car au-dehors, c’est la guerre. Son numéro s’achève par cette phrase sans ponctuation : « Comment pouvez-vous vivre dans ce merdier » (2).

Le cirque incendié par les soldats, Clod se retrouve seul, abandonné par le reste de la troupe. Il décide alors de prendre la route et « D’école en école Il parcourra le pays Sèmera farces et pitreries […] Il défiera les masques que les temps obscurs verrouillent sur le visage des enfants. » (3). C’est le début d’un long flot de paroles, parce qu’il faut dire l’exil, la réalité du quotidien et ses humiliations.

Nous connaissons tous les clowns. Pour certains, ils sont effrayants ; pour d’autres rassurants, parce que derrière leurs farces grotesques, ils reflètent l’humanité dans toute sa complexité. Il y a d’une part ce que nous sommes individuellement et spontanément, à l’image de l’Auguste, et d’autre part, ce que nous devons être pour vivre en société, à l’instar du Clown blanc. On retrouve également cette ambivalence dans le livre, une confession d’une rare violence. Raison pour laquelle l’auteur a choisi de faire parler son protagoniste à la troisième personne, comme pour prendre le recul nécessaire à sa survie et à la nôtre. Le clown nous raconte ce qui est arrivé à l’homme derrière le nez rouge. Le « je » ne se pointera qu’à la fin du texte pour traiter du présent, de la reconstruction, si elle est possible, et de « je » face aux autres.

Batiste Roussillon est Clod
Baptiste Roussillon

La poésie au service du théâtre

Le texte de Cotton est sans ponctuation et en treize parties, pour les superstitieux. Une narration pleine d’images afin de recréer l’atmosphère d’un morceau d’histoire. « La saison est à l’orage La colère y fait les cent pas » (4). Pas de lieu, pas d’époque non plus : il n’est nul besoin de référence. L’accent est mis sur 

les rapports humains dans l’instant. Ainsi, plus les soldats jouent de leur pouvoir sur les plus faibles, plus l’auteur nous ménage pour pouvoir aller au bout de son récit : « Un murmure traverse la troupe Une étrange agitation s’installe Des ceinturons cliquettent Dans les mains fleurissent des bâtons À notre tour de nous amuser Clown » (5). Aborder sur une scène – et donc, par la force des choses, en public – la question du viol d’un homme par d’autres mâles, c’est s’emparer d’un incroyable tabou, lorsque le viol des femmes est considéré par tous comme un dommage collatéral de la guerre.

On ne verra de cette réalité que le spectacle de Clod au sein du cirque sous forme de narration, suscitant des images qui seraient insoutenables si elles étaient montrées. Seules quelques phrases-chocs entendues par la victime au moment des faits nous seront livrées. Elles se détachent du reste du texte par des alinéas, comme pour mettre en valeur le pouvoir dévastateur que peuvent avoir les mots : « Va te laver la gueule Connard » (6). Les nombreux retours à la ligne, chers à la poésie contemporaine, contribuent aussi beaucoup au décodage actif de cette œuvre courte d’une trentaine de pages. Le rythme de lecture est, de ce fait, effréné, et l’on ne reprend son souffle que lorsque d’une partie, on passe à une autre avec un simple chiffre suivi d’un point.

Dans son blog, Cotton parle de son travail d’auteur dramatique et du choix délibéré d’y introduire la poésie : « Ce regard des hommes sur les hommes nous éclaire, il nous aide à penser et à grandir, il doit être, par la poésie, le privilège du plus grand nombre, car la poésie laisse à chacun de nous la liberté de la comprendre et de l’interpréter, quelle que soit l’étendue de nos connaissances. ». Un effort, donc, à propos de la liberté de penser et de la conscience de l’autre dont nous semblons parfois trop peu pourvus.

D’utilité publique

L’habileté avec laquelle Cotton nous plonge dans l’horreur est singulière. Que risque-t-on à écouter un clown ? En théorie, rien. Voilà pourquoi le piège se referme sans que nous ayons eu le temps de chercher l’issue de secours. Le lecteur est installé malgré lui dans un état d’insécurité. Non pas pour entretenir une paranoïa, mais pour conserver la mémoire des petites tragédies de l’Histoire.

Clod est un bouc émissaire, il en a conscience et il ne s’en plaint pas. Il veut témoigner de ce dont sont capables ses congénères et dire que « ce n’est pas facile à supporter De penser que ceux Que mes frères humains qui ont commis ces choses un jour sont Peut-être Là » (7). On traite des crimes impunis que l’on retrouve dans toutes les guerres, tous ces procès tardifs mais indispensables et, surtout, des victimes de la barbarie humaine, que l’on côtoie peut-être sans même le savoir. Cotton pose également ici la question du pouvoir et de la violence : sous les ordres de la hiérarchie, y a-t-il une place à la désobéissance ? 
(1) Clod et son Auguste, de Stanislas Cotton, p. 38.
(2) Idem, p. 41.
(3) Idem, p. 47.
(4) Idem, p. 45.
(5) Idem, p. 54.
(6) Idem, p. 61.(7) Idem, p. 64

Lea Goujon in nouvellesdeparis.com (dec 2014) :  » Stanislas Cotton signe un texte très dur et dérangeant. Percutant… Baptiste Roussillon incarne avec justesse ce personnage rattrapé bien trop vite par la réalité… « 

Armelle Héliot in Le Figaro (août 2013) :  » …admirablement interprété par un Baptiste Roussillon d’une maturité et d’une sensibilité bouleversantes. « 

S. Lesur in Vosges matin (août 2013) :  » un spectacle original et fort avec les mots percutants de Stanislas Cotton dont l’écriture interpelle. « 

Chrisitan Jade – RTBF. be. (août 2013) : Nez fendu, yeux de chien battu, Clod/Roussillon nous entraîne dans un cirque d’abord drôle puis de plus en plus sombre. Cauchemar ou réalité, le tout est de nous faire entrer dans ce jeu un peu sinistre. Mission accomplie, corps et âme. Splendide !

LE SOURIRE DE SAGAMORE

L’ECHO DE LA BOURSE – Sophie Creuz – 14 novembre 2002
QU’EST-CE QU’ON ATTEND POUR ÊTRE HEUREUX ?

Double actualité pour Stanislas Cotton, sa pièce Les dents est créée ce soir à la Balsamine alors que Le Sourire de Sagamore enchante le Théâtre des Martyrs.

A la question « Ecrivez-vous un théâtre citoyen ? » Stanislas Cotton répond :  j’aimerais bien. Je sens un manque d’humanité, de compassion, d’entraide. J’écris pour qu’on rouvre les yeux sur ces valeurs-là. L’argent qui nous gouverne ne peut pas être une valeur, on nous ment là… Il a déjà écrit vingt et une pièces, toutes ont fait l’objet d’une lecture publique et cinq ont été montées. Bureau national des Allogènes créé il y a deux ans par Christine Delmotte sur la question du droit d’asile (et qui continue à tourner) valut à son auteur le prix du Théâtre 2001 du meilleur auteur dramatique et le prix de la SACD. Suite à cela, Christine Delmotte lui a commandé une pièce sur une transformation spirituelle. Alors qu’à Florence plusieurs centaines de milliers de personnes se réunissaient  pour une autre mondialisation et s’apprêtaient à défiler contre la guerre en Irak, au Théâtre des Martyrs la représentation prolongeait, à sa manière, leur voix. Ecrire ici et maintenant est bien la préoccupation de cet auteur, père au foyer, qui « tient son ménage » d’une main et aborde de l’autre les sujets brûlants autant que les grandes interrogations , tels la haine et les conflits, en les passant au filtre de sa sensibilité. Une chose frappe, voilà un homme qui a l’air heureux et ce bonheur-là l’autorise à pointer l’aveuglement ou les blessures de ceux qui en ont oublié jusqu’à la couleur.

Comme certains de ses confrères et amis ( Pietro Pizzuti, Layla Nabulsi) ou d’autres tels Serge Kribus ou encore Thomas Gunzig et Nicolas Ancion, Stanislas Cotton n’a perdu ni le goût de l’enfance ni celui d’une poésie agissante qui poserait les bonnes questions sur un ton faussement candide. Son style est un mélange épique, dynamique de rimes et de raisons, de féerie et de dénonciation, de monologues, d’apartés et de dialogues serrés. Des fables à la manière de ces contes philosophiques qui laissent à chacun le soin de conclure.  Une façon de dire et de faire que comprend parfaitement Christine Delmotte. Elle opte pour un plateau nu, dessiné par Nathalie Borlée comme un tracé chinois. Un sentier, la lune, le fleuve, une fleur, quelques ombres et projections suffisent à ouvrir l’espace du dedans et du dehors. Pareillement, les comédiens ont cette faculté de délivrer cette petite musique qui frappe les touches noires du concret et effleure les touches blanches de l’âme. On ne s’étonne pas de croiser là un veilleur de nuit philosophe, cousin gentleman de l’allumeur de réverbère de Saint Ex qui n’aurait oublié ni l’humour ni l’autodérision. 


TROUVER SA ROUTE DANS L’HISTOIRE DU MONDE
Venons-en au propos. Sagamore de Tralala, directeur surbooké jusqu’au cliché, a tous les attributs du genre et une voracité qui fleurit dans les insultes. Il pendrait bien quelqu’un si aujourd’hui on ne se contenterait de licencier. Un concurrent en particulier lui porte sur le système ; pour s’en débarrasser, il est prêt à passer la mesure que son associé a peine à lui faire garder. On comprend, par un jeu d’ombres, que depuis le berceau ce Sagamore a été forgé, nourri, poussé à la réussite écrasante, quitte à abandonner un certain savoir-faire. 

Deux inconnues, « La Dame qui passe entre les gouttes » (Rosario Marmol Perez) et une Rose (Cathy Boquet), lui ouvriront inopinément les portes des chemins de traverse.  Comme le fumeur redécouvre les odeurs dès qu’il renonce à son vice, Sagamore réapprend la liberté : entendre, voir, sentir, aimer, sans autre finalité qu’entrer dans le plain-chant du monde, et trouver sa route dans l’histoire du monde. Luc Fonteyn emporte ce personnage avec une robustesse à la mesure de ce stentor.  Sa transformation n’en est que plus spectaculaire, les mâchoires se radoucissent, le corps retrouve des rondeurs que le costume et l’emploi avaient fini par dévitaliser, les intonations se veloutent… Celui qui n’avait pas le temps de se poser des questions tant il agissait vite se laisse pénétrer par le doute, la fragilité, le désir, la disponibilité, au grand dam de l’associé (Francesco Mormino) perdu sans directive ni conseil d’administration. Sagamore a d’autres rencontres à faire, « l’Homme qui sort quand la dame du monde est grosse » (Georges Pirlet) notamment ou «  le Gardien » (Soufian El Boubsi) par exemple, qui dénichent la beauté sous la laideur et la lumière dans l’obscurité.

La pièce et la mise en scène optent pour une grande lisibilité, une clarté de propos et de jeu tout à l’honneur des comédiens qui retrouvent la force du geste et de la présence. Les femmes redessinent l’espace tandis que les hommes l’arriment solidement au sol. Christine Delmotte a le sens des images et du plateau, elle crée un climat entre deux interlocuteurs en jouant uniquement sur le vis-à-vis ou la bonne distance. Onirisme et hyperréalisme, interpellation et imaginaire se servent ici l’un et l’autre avec une fluidité  qui ne paraissait a priori pas gagnée. Le liant est peut-être à chercher du côté de cette générosité qui fonde Stanislas Cotton, cette remarquable absence d’amertume qui lui fait voir, et surtout montrer, le verre à moitié plein plutôt qu’ à moitié vide, tout entier dans le sourire désarmant de Luc Fonteyn-Sagamore.

LE VIF L’EXPRESS – Elisabeth Mertens -15 novembre 2002
UN PUISSANT PDG PETE UN JOUR LE COMPTEUR

Et passe de la conquête des marchés à la conquête de lui-même. Une merveilleuse fable contemporaine de Stanislas Cotton, mise en scène par Christine Delmotte.

Brillant PDG d’une multinationale, Dieu de la Bourse et cocaïnomane, Sagamore de Tralala dirige et accroît son empire , entre prise de contrôle de la Société générale des eaux, négociations avec le ministre de l’industrie de l’Amernord et repérages d’options sur des sites à l’Est, régions où « le marché des machines à laver est très porteur ». Un jour, pourtant, Sagamore a mal, mal au ventre, mal aux gens. Est-ce déclenché par cette crise de fureur contre Somerset, le concurrent qui l’a torpillé dans une enchère et qui suscite chez le PDG une irrépressible envie de meurtre ? Anatole Fadaboum, l’efficace adjoint de Sagamore, a beau suggérer une solution plus civilisée qu’un tueur à gages : un virus informatique, quelques fausses informations, trois employés indélicats prêts à se remplir les poches et paf ! fin de l’empire Somerset ! La crise caractérielle de Sagamore ne passe pas. L’homme d’affaires va alors, littéralement, « s’envoyer promener ». Et passer, au fil de rencontres de personnages poétiques et énigmatiques, de la conquête des marchés à une autre, unique et ultime : celle de lui-même.

Le Sourire de Sagamore est la nouvelle œuvre de Stanislas Cotton, couronné l’an dernier, entre autres, du prix du théâtre du meilleur auteur dramatique. Son remarquable Bureau national des Allogènes, dans une mise en scène de Christine Delmotte, avait déjà fait date. Comme dans ses pièces précédentes, et toujours dans une langue poétique, empreinte de métaphores, qui est sa marque de fabrique, Stanislas Cotton donne vie à des archétypes (et non des stéréotypes), personnages ouverts, loin de tout manichéisme, dans lesquels tout un chacun peut retrouver ses propres doutes et questionnements. Comment Sagamore se débrouille-t-il avec le verbe choisir ? Avec son itinéraire, tout tracé par son grand-père et ses parents, d’ »enfant obligé d’être roi » ? Que va-t-il faire de ses vacarmes intérieurs ? Comment va-t-il devenir « président de sa république « ? Et trouver sa propre place « dans l’orchestre du monde, et y jouer la bonne partition » ?

Cette passionnante transformation spirituelle, ce parcours initiatique prend une vie , une acuité, une justesse et une poésie étonnantes dans la mise en scène de Christine Delmotte (toujours elle !) où se mêlent belle distribution (entre autres, Luc Fonteyn et Francesco Mormino, remarquables), scénographie et lumières magiques, théâtre d’ombre pour servir le Message Parental  – où l’on voit les parents se retourner littéralement  dans leurs tombes ! -, humour , peinture, roses, pluie… Sagamore sourit. Nous aussi.

TELEMOUSTIQUE – Martin Smets16 novembre 2002
A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU

On le savait déjà après avoir vu l’excellent Bureau national des Allogènes mais maintenant c’est une certitude. Stanislas Cotton est un très grand dramaturge. Sorti du Conservatoire d’Art Dramatique de Bruxelles en 1986, il a d’abord tâté des planches avant de se consacrer entièrement à l’écriture. C’est peut-être ça cette expérience de comédien qui lui donne cet incomparable sens du dialogue. Car si le thème du Sourire de Sagamore flirte avec l’air du temps (la mondialisation, la déshumanisation du monde du travail…), la pièce vaut avant tout pour l’immense qualité du texte, répliques ciselées, drôles, mêlées de poésie. Sagamore de Tralala, patron d’un empire économique, élevé par des parents et un grand-père , dans l’optique de devenir un jour président d’une République imaginaire basée sur le pouvoir et l’argent, découvre un beau jour, grâce à une jeune critique d’art, belle et libre, que sa vie n’a plus de sens. Il va petit à petit prendre goût à la liberté, au dilettantisme, à la paresse malgré les sarcasmes de son meilleur ami et vice-président de son empire…

Fable sans morale, Le Sourire de Sagamore est une pièce essentielle, une pierre à l’édifice de la réflexion sur une société en perte de repères que Christine Delmotte a su mettre en scène avec beaucoup de talent et de justesse. Une scénographie dépouillée – un simple plancher et des ombres chinoises  en arrière-plan -, des comédiens brillants et une belle utilisation de l’espace scénique. Magnifique.

LE SOIR – Laurent Ancion 15 novembre 2002
IL Y A UNE VIE APRES L’ARGENT


EPOPEE DE LA REDEMPTION D’UN PDG VORACE
Le jeune Stanislas Cotton confirme son talent d’auteur
Les acteurs, dont Luc Fonteyn, sont épatants.

Stanislas Cotton n’est pas content. Pas content du tout. Alors qu’au Théâtre de la Balsamine, sa dernière pièce montre « Les dents » contre la bêtise de la guerre, c’est au pouvoir de l’argent qu’il s’en prend au Théâtre des Martyrs. « Le Sourire de Sagamore » n’a toutefois rien du manifeste politique : l’œuvre est d’abord une magnifique épopée poétique, dont l langue et la pertinence confirment le talent renversant de la jeune plume belge.
L’an dernier, les Prix du Théâtre récompensaient Stanislas Cotton pour « Bureau national des Allogènes », dont Christine Delmotte avait assuré la mise en scène. Avec « Le Sourire de Sagamore », le même duo passe à la vitesse supérieure : c’est Christine Delmotte qui a commandé la pièce à Cotton. Ces deux-là se serrent donc les coudes pour un spectacle qui, malgré la froideur de certains pans de la mise en scène, conduit comédiens, texte et public à une véritable fusion.

En tête de rôle, il y a Sagamore, bien sûr, et son fameux sourire. Au début, cet homme concret n’a absolument pas envie de se marrer : il est un PDG aux dents longues, un « battant » qui marche sur la tête de ses employés et n’hésite pas à souhaiter la mort de ses concurrents. Le spectacle sera celui de sa rédemption.  Sagamore de Tralala (c’est son nom complet) est usé par sa propre haine.  Comme un principe lu noue le ventre (L’argent n’a pas de cœur), le PDG se met à l’écoute de la vie. Il croisera une poignée de personnages qui lui feront changer sa route. Et, qui sait, sourire enfin… (…)

La scénographie fait partie des idées efficaces. Le cheminement de Sagamore le fait voyager du bureau au musée, du bord du fleuve à la salle réunion. Christine Delmotte, en collaboration avec Nathalie Borlée, a choisi d’évoquer tous ces lieux en un seul : un vaste plancher de bois que les lumières viendront métamorphoser par leur ombre, leurs tons crus, etc. L’épopée rejoint le rêve et trouve son rythme fluide. Une réussite.  (…)

La mise en scène de Christine Delmotte a un autre atout, et non des moindres : elle suscite le meilleur des cinq acteurs, qui font claquer la langue poétique de Cotton avec puissance et précision. Francesco Mormino , en Anatole Fadaboum, est un yuppie revêche, brûlé par le travail, touchant par son feu intérieur. Georges Pirlet, Rosario Marmol-Perez, Soufian El Boubsi et Cathy Boquet campent avec un même aplomb très déterminé les personnages émaillant l’épopée, variant les profils et nous interrogeant à chaque fois sur ce qui anime nos propres pas.

Enfin, il y a Luc Fonteyn, qui offre au personnage de Sagamore une intensité secouante ; Il a l’œil fatigué de celui qui se voue au boulot, l’éclair de celui qui voit naître l’espoir … et la concentration frappante d’un acteur en pleine maîtrise de lui-même.

Tour à tour émouvant, ignoble, ridicule et bouleversant, Sagamore fait, avec Fonteyn, une splendide entrée dans le répertoire. De quoi peut-être réconcilier Cotton avec le monde des hommes – même s’il y a du boulot…

APPOLINE LONLèRE A ROME

LE VIF – L’EXPRESS – Elisabeth Mertens 11 mai 2001
SALADE ROMAINE

Appoline Lonlère à Rome, de Stanislas Cotton, nous emmène dans un étrange labyrinthe. Un monologue éblouissant, drôle, émouvant, interprété par une révélation.

Voilà notre Appoline, « Gauloise parmi les romains », arpentant les rues de Rome, dans une étrange course-poursuite, se racontant des histoires, dévoilant ses facettes – petite fille perdue, femme amoureuse et coquette, ou très en colère façon « femmes au bord de la crise de nerfs » – et quelques fantasmes : l’espionne (nom de cade zéro zéro sexe) et la tombeuse de mecs « un lit au draps de satin l’attend dans chaque port »… Mais elle est brave Appoline : elle ne va quand même pas craquer parce qu’un inconnu lui laisse à chaque rendez-vous, un autre message, qui lui en fixe un nouveau. Elle s’admoneste, cherche le siège éjectable, se reprend, tangue, appelle le public à son secours « Qu’est-ce que tu ferais, toi, les gens ? », le prend à témoins de ses tribulations, jusqu’à la déflagration finale, au centre du labyrinthe…

Maryse Dinsart

Appoline Lonlère à Rome, de Stanislas Cotton – dont le récent et superbe Bureau national des Allogènes a fait un tabac au Martyrs à Bruxelles – occupe une place de choix dans le Festival de monologue de L’L, à Bruxelles, joliment intitulé Enfin seul. Un festival où fourmillent jeunes auteurs, comédiens et metteurs en scène. En l’occurrence, le texte de Cotton est empoigné par deux toutes jeunes femmes surdouées, à découvrir d’urgence : la metteure en scène Laure Bourgknecht et la comédienne Maryse Dinsart, qui sort de l’école… Eblouissante de charme et de Talent.